Vivre à l’étranger : d’une désillusion au nouvel équilibre

Auteurs(s) : Abigail Pelik

Dans un monde de plus en plus globale et interconnecté, nous sommes aujourd’hui nombreux à faire le choix de partir vivre à l’étranger, pour un temps ou bien dans l’espoir de débuter une nouvelle vie. Mais que représente cette expérience de vie en tant qu’expatrié ?

 

Expatriation : pourquoi aller vers l’étranger ?


Le mot étranger vient du latin extraneus « du dehors, extérieur ; qui n’est pas de la famille, du pays ». Aller vers l’étranger implique donc de faire un mouvement en dehors de soi pour aller à la rencontre de quelque chose de nouveau, de différent. Alors pourquoi choisir de faire ce saut vers l’inconnu? 

Il y a bien sur de nombreuses raisons pratiques qui peuvent nous pousser à partir – fins professionnelles, familiales, humanitaires, financières, politiques… Mais derrière ces objectifs affirmés – qui sont bien réels - il se cache souvent d’autres raisons, plus psychologiques et dont on peut être plus ou moins conscient. Il peut donc être intéressant et utile de se poser réellement la question, pourquoi est-ce que je fais ce choix. Qu’est-ce que j’imagine trouver dans cet « ailleurs » fantasmé, à quoi j’espère échapper ou qu’est-ce que j’essaye de laisser derrière moi en quittant mon pays d’origine?

Beaucoup de fantasmes peuvent s’attacher à ce départ et à cet ailleurs. Parfois cela peut être des éléments assez spécifiques, comme le rêve d’une meilleure vie, de plus de confort ou de succès. Ou bien le fantasme de l’aventure, une chance de se prouver ou de se dépasser, l’idée qu’on pourrait se trouver soi ou encore enfin trouver sa place.

Parfois cela peut être plus abstrait, une impression de manque, d’un trou qu’on cherche à combler en nous ou dans notre vie sans pouvoir le nommer, ou bien une blessure invisible qu’on tente de réparer. D’autres fois c’est l’inverse, on cherche à prendre de la distance avec des éléments de notre vie, de notre entourage ou de nous-mêmes. On espère qu’en partant on pourra échapper à ces conflits non résolus, ou à ce stress au travail, redonner du souffle à une relation en souffrance et laisser les problèmes derrière nous, ou bien encore abandonner les parts de soi avec lesquelles on se sent mal à l’aise et se réinventer.

Enfin il y a toutes les croyances et les fantasmes qu’on porte en nous en relation avec l’idée de la différence et qui viennent s’attacher à cette décision et à cette expérience. Quitter son pays c’est en effet allers vers la rencontre d’un monde et d’un autre différent de soi et de son univers connu. Mais comment pense-t-on cette différence avant notre départ ? Richesse, opportunité d’apprentissage, source de conflit ou de mécompréhension, mystère, source d’exclusion, occasion de rencontre et d’ouverture, écart à combler, curiosité, sentiment d’étrangeté etc., nombreuses sont les associations conscientes et inconscientes que l’on peut avoir à ce sujet. Cela va donc avoir un réel impact sur notre manière de vivre cette différence quand on se retrouve tout d’un coup plongé dedans.

Prendre pleine conscience des facteurs et influences externes mais aussi internes, liés à une grande décision de vie comme l’expatriation, peut nous aider à mieux nous préparer à un tel changement et à rendre moins rude le choc de la rencontre entre le fantasme et la réalité et la période de désillusion qui l’accompagne souvent.

 

Rencontre avec le pays étranger : vivre sa désillusion


En effet, comme décrit dans le cycle de vie de l’expatriation par de nombreux auteurs, après une période initiale de découverte dynamique et enthousiaste nommée classiquement « lune de miel » suit une période de choc culturel et de prise de conscience de sa nouvelle réalité associée à une désillusion et à un sentiment de désorientation.

Cette phase, dont la durée et l’intensité vont varier selon les individus peut être très douloureuse et déstabilisante. Cela est totalement normal et correspond au besoin de faire le deuil du monde et de la vie qu’on s’est imaginé ainsi que celle qu’on a laissé derrière nous afin de pouvoir réellement commencer à aller à la rencontre de ce nouveau monde qui nous entoure, car il y aura toujours un écart entre les deux.

Plus le fantasme était du côté d’un idéal, plus la déception risque d’être importante. Une fois la bulle éclatée, on se rend compte de la difficulté qui vient avec le fait de fonctionner dans un monde qui nous est étranger et toute la perte de repères et l’incertitude qui l’accompagne. Nouvelles coutumes, habitudes, manières de faire, de penser, d’appréhender le monde et de fonctionner au quotidien, langue étrangère, tout peut nous paraitre différent et difficile à ce moment là et cela va être très déstabilisant. Car fonctionner dans le flou et l’inconnu fait peur, et continuellement devoir être dans une position d’apprentissage face à la nouveauté demande beaucoup d’énergie.

Nous avons besoin de points d’ancrage pour nous sentir en sécurité et reprendre notre souffle. Or, on peut également se sentir assez déraciné. Où appartient-on maintenant ? Plus totalement là-bas mais pas vraiment ici non plus. Et ce n’est pas seulement le monde qui nous entoure qui a changé, mais notre place et notre relation avec celui-ci. Tout d’un coup, c’est nous l’étranger, celui qui vient de l’extérieur et qui parait différent. On peut se sentir ou avoir peur d’être incompris et cela peut vite devenir très isolant. Il faudra enfin se confronter à la perte et au manque. De nos proches, de nos routines, de notre sentiment de familiarité, et même parfois de ce qu’on pensait être content de laisser derrière nous. 

Heureusement, le voyage interne de l’expatrié n’est pas obligé de s’arrêter là et il est possible de construire un nouvel équilibre grâce à l’adaptation et à la mobilisation de ses ressources internes et externes. Parfois cela veut dire s’autoriser à demander de l’aide et du soutien.


Trouver un nouvel équilibre suite à l’expérience du déracinement


Une fois le travail du deuil enclenché on devient disponible pour aller à la rencontre de notre nouvel univers tel qu’il est réellement et à entrer en relation avec ce qui nous entoure. On peut alors entrer dans une phase d’acclimatation et d’adaptation. Cette période d’acclimatation exige de nous beaucoup d’énergie car elle demande un mouvement psychique permanent. Il est donc important de se ménager et de, tant que possible, créer les meilleures conditions pour que ce processus puisse se faire avec douceur.

Aussi, il peut être utile de créer une routine autour de son nouveau quotidien, afin de réintégrer un sentiment de familiarité qui nous offre le cadre sécurisant à partir duquel on peut continuer à s’exposer à la nouveauté et construire de nouveaux repères. Quand cela est possible, importer quelques éléments de sa culture d’origine (plats, musique, rites etc.) peut également aider à retrouver un peu de familiarité et de stabilité, et à soulager le mal du pays. Mais il est important que cela ne devienne pas non plus un système défensif figé, à partir duquel on peut éviter d’avoir à faire ce travail d’adaptation, mais bien un support qui rend cette ouverture possible.

L’expatriation est par définition un mouvement, il faut donc pour que cela reste créatif, éviter la fixation. Il est donc également important de ne pas trop se replier/refermer sur soi et de se couper de l’autre face à ce stress psychique. Il peut être tentant de le faire, surtout quand on est fatigué et qu’on se sent déjà seul et loin des autres (physiquement, émotionnellement, culturellement). Mais ce renfermement ne va faire qu’augmenter ce sentiment d’isolement. Faites donc appel à votre réseau et soyez honnêtes avec eux et avec vous même. N’hésitez pas non plus à faire appel à des réseaux d’expats, ou à un professionnel, qui peuvent être d’autres sources de soutien. Tout cela vous aidera à trouver les ressources nécessaires pour maintenir votre ouverture à l’étranger, à vous créer un nouveau réseau sur place et à intégrer certains éléments de ce nouveau monde auquel vous êtes confrontés.

La dernière étape est alors celle de l’intégration de son héritage et de ces nouvelles influences culturelles. Chacun devra trouver l’équilibre qui lui convient entre ces différentes influences afin d’apprendre à contenir cette altérité en soi. Car cette différence, elle n’est plus seulement entre nous et l’autre, ou encore entre notre vie d’avant et notre vie actuelle, on la porte dorénavant en nous. 

Il est important de noter que malgré le fait que je présente ces étapes de l’expatriation comme des étapes successives, ce n’est en réalité pas un processus linéaire, et il est probable qu’on alterne entre ces positions et qu’on les traverse à plusieurs reprises.

L’expatriation n’est jamais le rêve qu’on s’imagine, mais bien une expérience encrée dans le réel avec toute sa palette de couleurs et ses hauts et ses bas. Cependant, malgré les difficultés qu’elle implique, cette rencontre avec l’altérité peut être l’occasion de faire naitre en soi un nouvel espace, certes pas toujours confortable, mais qui crée la place nécessaire à une réelle curiosité envers l’autre et envers soi et à la flexibilité et au potentiel créatif qui viennent avec. L’expatriation ce n’est pas seulement un voyage physique, mais bien aussi un déplacement psychique.